Seumas O'Kelly
Le Miracle du thé
Traduit de l'anglais (Irlande) par Marc Voline
Gravures de Frédéric Coché
Éditions Le Nouvel Attila, 178 pages, 16,00 €.
S'il est des livres attachants, c'est bien le cas de ce Miracle du thé de l'Irlandais Seumas O'Kelly (1881-1918), qui réunit dans une traduction de Marc Voline trois récits tirés du recueil Hillsiders (Ceux de la colline) composé en 1909.
Dans le village de Kilbeg (La petite église) tout le monde sait tout de tous, ou du moins le pense. Les yeux sont à l'affut autant que les oreilles. Quant aux langues, plutôt bien pendues, il est rare qu'elles chôment. Nan Hogan vitupère contre tout le village ; la veuve Lowry et Mme Paul Manton ragotent et claquent leur bec à l'envi, se vouant une haine des plus sororales, mais bien d'accord s'il faut casser du sucre sur le dos de Sara Finnessy, laquelle, soit dit en passant, ne se prive pas d'aller mettre partout son nez. C'est que les affaires des autres, n'est-ce pas, sont aussi nos affaires. Ou alors il n'y aurait pas de communauté villageoise.
Qu'on emmène Nan Hogan à l'hospice de Boherlahan, et tous d'y mettre la main, de se réjouir et de se désoler. Elle reviendra, dit-on, cette "vieille pie râleuse", selon les termes de Sara Finnessy. Mais qu'une intruse s'incruste dans la maison de Nan, c'est la même Sara qui vient y mettre bon ordre sous le regard narquois de tout le village assemblé devant l'échalier.
O'Kelly livre toute la vie sociale d'une campagne isolée, reconstitue la force et la complexité de liens à la fois nécessaires et ambigus qui ne se peuvent saisir que dans la restitution des tableaux et des gestes qui font le quotidien et ses drames et son sel.
Lorsque Mlle Mary Hickey – toute sa vie elle a su tenir la pose d'une petite châtelaine, hautaine juste ce qu'il faut pour bien faire sentir la distance sans être rejetée –, se décide à quitter (on ne quitte pas Kilbeg, on le renie) sa maison du haut du village, c'est comme une pierre de l'édifice social que l'on descellerait ; l'équilibre est réellement, profondément menacé.
Si par miracle (ou malédiction des planètes) la livre de thé que l'on croyait disparue tombe sous la main de Winnie O'Connell (à qui bien sûr elle n'était pas destinée) qui en avait cruellement besoin, c'est toute la moralité, pour le moins discutable mais sincère, de Kilbeg qui se secoue, s'outre, clame et réclame justice : c'est que les gens de Kilbeg ne sauraient tolérer bandits et autres criminels et assassins.
La force de ces récits tient dans un réalisme épuré, souvent cocasse, jamais outrancier ni grotesque. O'Kelly ne se hausse pas au-dessus de ses personnages. On sent tout au contraire qu'il évolue dans leur proximité, que leurs façons de penser et d'agir lui sont plus que familères. Il ne peut que les dévoiler tels qu'ils sont, dans leurs actes et leurs paroles. Aussi l'écriture est-elle directe ; terriblement évocatrice elle donne à voir et à entendre. Elle n'explique ni ne commente, mais montre et de fait éclaire, à la manière d'une chronique sans prétention et partant d'une extraordinaire efficacité suggestive.
Le soin apporté à cette édition (on regrettera pourtant quelques césures fantaisistes et quelques coquilles désolantes), l'élégante légèreté de la mise en pages, la finesse des gravures de Frédéric Coché qui s'insèrent tout naturellement dans le texte, font de ce livre sous sa jaquette de papier cristal un objet, décidément, très attachant. E. M.
P.S. Aux mêmes éditions, du même auteur, du même traducteur, avec les gravures du même graveur, on aurait bien raison de perdre son temps à lire La tombe du tisserand.
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