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Carlo Bordini (1938 - 2020)

Poussière / Polvere suivi de La simplicité.

Danger / Pericolo


Gustavo


Poussière / Polvere
suivi de La simplicité.
alidades, collection ’Bilingues’, traduction et présentation d'Olivier Favier
12,5 x 21 cm, 48 pages, cahier, 5,50 €, ISBN 978-2-906266-75-9

Polvere est un poème étonnant où l'expérience intime rencontre en un permanent va-et-vient l'infini des choses, dans une manière de prolongement plus lucide que tragique. Il y a quelque chose d'extrême oriental dans cette façon de lier en miroir le macrocosme et le microcosme, de ménager la fulgurance des passages, de débusquer la parenté de la matière du monde et de la matière vécue. Cela, Carlo Bordini le fait dans une langue quasiment minérale, en une manière d'oralité qui est comme de la pensée en train de naître et de prendre corps – une parole qui serait elle-même matière.

Auteur de nombreux recueils de poèmes, de plusieurs essais, d'un roman, Carlo Bordini est né à Rome en 1938. Enseignant chercheur au département d'Histoire de l'Université de Rome La Sapienza, il s'est spécialisé dans l'histoire de l'amour et de la famille au dix-huitième siècle.

"Ce long poème interroge. Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que vivre ? Comment partager cet émerveillement ? Ces plaisirs des sens ? Une méditation simple et tranquille, avec un léger sourire amusé…
Un long poème ; un bel homme !"

Patrick Joquel


Extrait :

(...)
Vie artificielle ; comment peut être artificielle
une nouvelle vie ? Si la pierre n’existe plus, ou si elle n’a jamais été,
est-ce que ce n’est pas bien d’être de plâtre, comme les morts de Pompéi ?
Éternellement ? Peut-être...
Un archéologue rusé a pompé le plâtre des enveloppes
laissées par les lapilli et la lave, où s’étaient
consumés les corps des fuyards de Pompéi. Le plâtre
a repris les formes originaires, approximativement, dans tout
ce qu’elles avaient de tendre. Ils semblent dormir, au repos, un peu
délavés. Un peu déteints. Ma vie artificielle n’est-elle pas, –
déteinte – ce qu’elle aurait pu être ? N’est-elle pas, au repos,
informe, ce qu’elle aurait pu être dans sa
jeunesse, dans son état naturel ? Tout, peut-être,
n’a-t-il pas été
récupéré ? L’essentiel n’en est-il pas
resté ? Ne puis-je pas faire, de plâtre,
ce que je n’ai pas fait avant ?
Tout cela n’est-il pas beau ? Y a-t-il quelque chose
d’illégitime ? Le plâtre n’est-il pas,
peut-être,
une création humaine ?
Humble, plâtre, fait de poussière compacte.
Sommes-nous
monument de nous-mêmes ?
Fragile monument, dans les jardins publics, que
quelqu’un
peut aller voir. N’est-ce pas la vie ? Dans son
humilité,
n’est-elle pas grandiloquente ? À villa borghese,
les bustes de notre dix-neuvième siècle regardent, crépusculaires,
non sans une certaine dignité.
Et toi, tu veux rester près de moi ?
Je suis fait de bon plâtre ;
je me suis fait tout seul.
Toi qui a coupé tes enfants,
tu aimes les femmes – d'un amour
stérile.
(...)



Danger / Pericolo
alidades, collection ’Bilingues’, traduction d'Olivier Favier
12,5 x 21 cm, 56 pages, cahier, 7,00 €, ISBN 978-2-906266-94-0

Cette traduction paraît en France dans la foulée de la publication en Italie de l'œuvre poétique complet de Carlo Bordini, et au moment où un dossier lui est consacré dans la prestigieuse revue EUROPE. C'est dire que Bordini fait partie des quelques uns, intraitables, exigents, indépendants et sans concession, dont l'écriture compte aujourd'hui, traçant une voie qui refuse tout autant l'aridité formaliste que le retour à un lyrisme de convention vaguement ésotérique. Il est difficile d'écrire dans son temps, avec et contre lui, et surtout de le faire "en poésie". Peu y parviennent, dont Bordini, qui réaffirme avec Pericolo son choix de la narration intime, violente, désabusée et pour ainsi dire tragique (j'ai envie de dire au sens noble et grec du terme), dont le lyrisme s'impose comme malgré l'auteur et s'élabore progressivement dans les dix-neuf séquences du poème. E.M.

Extrait :

(...)
maintenant naissent les bruits arides de la saison de mort
je pense que le printemps menace et je m'aperçois

(feins d'être je me dis en lisant)

lisant la lecture la lettre de la lecture de la lettre
le corps
était la même chose du corps d'avant
mais la lecture de la lettre de la lecture avait créé une limpide suspension
nos corps ne nagent pas

 

noir

 

Maintenant le soir commence l'aride lumière soir

tu restes dans une limpide bulle de verre à écrire l'aride soir

, que faire de notre bienveillance l'un pour l'autre

j'ai écrit des choses en restant dans une chambre.

cette subtile tristesse comme un
fil
d'araignée que tu peux voir
seulement en contrejour
faire un effort pour se souvenir

enterrée dans un printemps

(...)



Gustavo – une maladie mentale (récit)
alidades, collection ’Création’, traduction d'Olivier Favier
12,5 x 21 cm, 64 pages, cahier, 8,00 €, ISBN 978-2-919376-48-3

GUSTAVO, c'est l'histoire d'une maladie mentale. Carlo Bordini y réussit ce tour de force non de dire l'intériorité mais d'être l'intériorité en train de se dire. On circule dans les méandres d'une pensée malade évoluant dans l'espace toujours mouvant où Gustavo, hargneux, déshonnête, menteur et lâche, traîne en le chérissant son "mal chronique", cette semi-asphyxie que provoquent le sentiment d'échec et le déni qui l'accompagne.

L'écriture se développe ici en une sorte de spirale propre au ressassement obsessionnel, avec des effets de brisure ou d'inachèvement, des bizarreries lexicales et grammaticales comme autant de symptômes d'une parole qui cherche douloureusement son chemin. La force du style de Bordini (et donc de son traducteur) est de donner les tonalités de l'évidence à ce qui bien sûr n'est rien moins qu'évident.

Extrait :

"Parfois, en enjambant les choses qui sont sur le sol de la maison, pour aller d’un endroit à l’autre, Gustavo s’amuse à les soulever et à les mettre en ordre (à les déplacer, c’est-à-dire, de manière plus symétrique, à les aligner). La maison a un balcon, qui du dernier étage domine tous les autres, et sur lui tombe toujours une lumière livide. Sur le balcon il y a une table, à demi recouverte d’une bâche en plastique, et une mare, comme s’il avait plu. Gustavo sort souvent sur la terrasse, en s’enivrant surtout de l’air limpide et bleu du printemps, et il s’aperçoit que la lumière livide qui stagne sur la terrasse provient de la bâche en plastique qui repose à moitié sur la table. Parfois il met La Traviata à plein volume, ou une autre musique, et il l’écoute à l’entrée de la terrasse.
Il se souvient qu’autour de la table de la terrasse, les soirs d’été (à présent que l’été se dessine dans le printemps en cours, que l’annonce s’en fait sentir; une autre année est passée en fait, un hiver est passé presque sans qu’on s’en aperçoive) – on faisait des dîners, avec des invités, de vraies fêtes. Il y avait beaucoup de femmes. Gustavo passe de nombreuses après-midi ainsi. Quelquefois, en déplaçant les choses qui gisent sur le sol, il découvre en dessous les têtes de ses amis, ceux qui ont habité la maison avec lui. Il parle avec les têtes, qui lui adressent toujours la parole en premier, comme si elles étaient impatientes de lui parler. Elles sont pâles.
– Comment vas-tu ? lui demandent-elles généralement, d’un ton aimable.
– Bien, répond Gustavo.
Puis la conversation se poursuit, elle prend différentes tournures. Gustavo donne des nouvelles de sa vie, il parle de ses progrès (il est en train de publier en effet des récits dans des revues) et prend de leurs nouvelles. Les têtes parlent de ce qu’elles font, de leurs occupations du moment, et elles demandent parfois poliment des nouvelles de Marina. Malgré son amabilité, Gustavo ne peut qu’éprouver à leur égard un certain dégoût, et même un certain sentiment de supériorité. Il sait qu’elles ne sont rien que des pensées, et il s’amuse à les déplacer, avec les choses qui gisent sur le sol de la maison, ou à les ranger en lignes droites. Par exemple une ligne qui va de la salle à manger jusqu’à la porte de la terrasse. Les têtes, mobiles comme des pensées, se déplacent continuellement, et ce ne sont jamais les mêmes. Ainsi peut-il parler à chaque fois avec des amis différents. Parfois il trouve toutes les têtes, avec les choses qui sont au-dessus d’elles, entassées dans un cagibi. Les choses qui sont au-dessus d’elles peuvent être des piles de livres, des couvertures soigneusement repliées, des amas verts, mucilagineux, gouttant sur le sol. Parfois il imagine qu’il croise Marina, recouverte d’une subtile cloche de verre; il pense qu’alors il pourrait certainement s’expliquer avec elle"

 



Voir aussi : entretien avec Carlo Bordini sur le site de altriitaliani.


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